Vous voyez ce garçon qu'on voit toujours dans les rues, qui se filme avec un appareil photo ayant un écran réversible pour qu'il puisse se voir en même temps et qui chante, qui parle comme si derrière cette caméra se trouvait plusieurs centaines de personnes. Ce garçon qui sourit toujours, qui raconte sa vie comme si elle était parfaite, qui se cache derrière de courtes vidéos et qui parle comme si tout allait bien. Vous voyez, ce garçon qui en réalité n'a pas une vie si parfaite, qui ne fait des vidéos que pour se sortir de ce cercle horrible et vicieux qu'est sa réalité, qui ne va pas si bien. Ce garçon, c'est un peu moi. Prongs, Jamie, Phobos, ce sont les trois noms sous lesquels on me retrouve très souvent. Black Opium, c'est le nom sous lequel je me fais connaître. Videomaker sur Youtube dans les vlogs ou les jeux-vidéos, je passais un peu mon temps à ça en commençant chaque vidéo sur des jeux par une phrase assez simple, juste "Haï c'est Black", ça suffisait visiblement à faire aimer les personnes, à les faire rester et à les faire apprécier la personne pour qui je me faisais passer. Seulement, il y a énormément de choses que je ne dis pas devant la caméra, beaucoup de choses que j'ai dites une fois, une seule fois en voulant tourner une vidéo pour arrêter ma chaîne, arrêter ce que je faisais, ce qui me détendait, une vidéo que j'ai gardé uniquement pour moi et que je n'ai jamais diffusée.

« Haï les gens. C'est Black. Enfin... Je pense plutôt que je devrais dire, c'est James. Pour la première fois, je me présente à vous en étant... Moi-même. En trois ans de vlog, de vidéos, j'ai jamais osé vous avouer mon prénom, ni même mon nom. Que ce soit même sur Facebook, Instagram, Twitter... Nul part vous pourrez trouver mon vrai nom, c'est... Stupide. J'ai décidé de faire cette vidéo aujourd'hui pour... Déjà me présenter aux personnes qui me suivent depuis trois ans. Je vous en remercie d'ailleurs juste énormément. Je m'appelle James Rabiega. J'ai dix-huit ans depuis quelques jours et... J'avais envie de m'exprimer sur ce que je ressens. Je sais que vous allez écouter ou... Pas. Vous allez peut-être passer cette vidéo et faire comme si rien était. Je viens d'une famille d'une classe sociale assez basse, mes parents s'appellent Jana et Jordan Rabiega, ils sont mariés depuis vingt ans déjà. J'ai quatre sœurs, autant vous dire que c'est la belle merde entre tout ça. Il y a Morgana, qui a vingt-sept ans, Leana, qui en a vingt-cinq, Kelly, qui en a vingt, et puis Alysha qui en a quinze. Elle me parle souvent, très souvent de ce qu'il se passe quand elle est au lycée. Elle est assez.. Populaire, la plupart des gens l'aiment bien et ça me fait juste plaisir de savoir ça. J'ai un frère aussi, Nathan, il a vingt ans, c'est le jumeau de Kelly. C'est pour vous situer un peu dans ma famille, tout ça. On est une famille... Assez pauvre. Très pauvre, même. Le décor que vous voyez tout autour de moi à chacune de mes vidéos, c'est même pas chez nous. C'est la maison de ma grand-mère, elle nous la prête le temps qu'on puisse trouver un endroit où nous mettre, je paye mes études avec une bourse scolaire et... Disons que notre situation est limite. Et ça aurait pu être comme avant encore, ça aurait pu être pire que ça. Mais c'est pas de ça que je voulais vous parler. Si je suis avec vous sur internet depuis trois ans c'est parce que... Parce que rien ne pourrait aller plus mal, en réalité. Je m'enferme dans les jeux vidéos depuis que j'ai... Douze ans ? Peut-être plus, peut-être moins. Il faut savoir que... J'ai pas toujours vécu à Mountain View. Au départ, j'ai vécu sept ans à New York, puis j'ai vécu... Huit ans dans la ville de Mexico. Y hablo muy bien español, es mejor cuando vives en un ciudad española. J'imagine que la plupart ne comprendront tellement pas ce passage. Et ça fait trois ans que je vis à Moutain View. Si je suis là aujourd'hui, c'est pour vous dire la vérité sur moi. Je suis pas la personne que vous voyez à la caméra tout les jours, il y a beaucoup de choses que j'ai faites dont j'ai horriblement honte. Comme me droguer, pour commencer. Quand j'avais seize ans, j'étais toujours mal, triste, et surtout mal dans ma peau, dans mon corps, comme aujourd'hui encore. Je peux vous dire que j'ai jamais recommencé le LSD après ça. Comme aussi faire des tentatives de suicide... Je sais ce que vous allez vous dire. C'est lâche, hein ? Croyez moi... C'est dur de parler de ça parce que j'ai.. Jamais osé dire quoi que ce soit. » Regardant la caméra, je posais mes mains sur mon visage avant d'essuyer mes larmes, qui s'étaient mises à couler sur mes joues gardant mon regard sur mes mains un moment sans rien dire. « Dans mon collège au Mexique, quand j'ai commencé le lycée également... Je me faisais harceler, légèrement. Du moins c'est ce que je me dis. Enfin, ça doit pas être si grave, se faire insulter ça arrive à tout le monde et se faire frapper ça arrive même aux personnes les meilleures. Alors ça m'a fait chuter, ça m'a fait... Descendre d'un cran. J'ai des marques, des cicatrices sur les deux bras, que je me force à cacher. Juste pour qu'on me pose aucune question. Et pour être apprécié, ils m'ont fait faire des choses que jamais j'arriverais à me pardonner, parce que je suis conscient que si j'avais été différent, ça se serait pas passé comme ça. J'suis conscient que c'est de ma faute, et ils me l'ont fait comprendre. Si j'avais été différent j'aurais peut-être pu affirmer être quelqu'un de stable, quelqu'un qui n'a jamais eu de copine, qui n'a jamais couché avec qui que ce soit parce qu'il attend la bonne. Mais juste à cause de ça, je peux pas. Je suis sortit avec une fille, quand j'avais quatorze ans, elle s'appelait... Hailey je crois. Elle m'aimait pas, je l'aimais pas non plus et elle avait quatre ans de plus que moi, on a fait... Tout ça ensemble. Je pense pouvoir dire que j'ai encore l'impression de me faire taper dessus par son mec. Depuis ce moment, je fais tout pour être seul, absolument tout. Je refuse qu'on me touche ou de prêter mes affaires pour ne pas avoir à parler à qui que ce soit, vous êtes les seules personnes à pouvoir me comprendre. À pouvoir comprendre ce que je ressens. Il y avait bien une fille, avant. Astrid. Elle... Est comme les autres. Je croyais pas, avant. Elle était gentille, elle était... Elle était. Tout simplement. On s'est rencontré sur un jeu, elle et moi, stupide comme rencontre. Et j'aurais pas cru pouvoir développer ce genre de sentiments à travers un écran, c'est complètement débile. Comme c'est débile de dire que je m'appelle James Rabiega, alors que c'est faux. Je m'appelle James Black, en réalité. Pour tout dire, j'ai été adopté. Mes parents sont morts en septembre 2001, à New-York. Je pense que vous avez pas besoin de plus de détails pour comprendre comment ils sont morts. Quelques temps après on m'a trouvé une insuffisance cardiaque gauche, que j'ai encore maintenant. En quelques sortes mon cœur est... Trop faible. Mais tant que je suis là, ça va. Je vous dis tout ça parce que je vais arrêter maintenant les vidéos, tout ce qui me rattache à vous, j'en peux plus. J'ai besoin de changer, totalement. Et je pourrais pas changer en ayant ce vous qui me rattache à la personne que je suis réellement. Je vous aimes. C'était Black Opium, juste pour vous. » J'avais coupé la caméra à ce moment-là, alors que les larmes roulaient encore sur mes joues. Je ne l'avais pas publié, passer tout ce temps à pleurer et à me confier ne me ressemblait pas. Et Kelly était entrée dans ma chambre, après que j'eus essuyé mes larmes. Elle me demandait si j'allais bien, et j'avais hoché la tête.