Mon père était retourné à Sacramento, laissant la maison complètement vide et sans surveillance. C’est vrai que je suis pas très futé, mais à sa place, je laisserais jamais deux jeunes adolescents, plongés dans la fleur de l’âge et livrés à eux-mêmes, seuls dans une telle habitation. Ah non, pas que ça me dérange loin de là. Il n’y a qu’à voir l’état des lieux. L’équilibre de ma chambre est resté le même – faut bien que je sois apte à recevoir des poulettes de temps à autres – mais ma terrasse, c’est tout autre chose. Des coussins jetés un peu partout en guise de chaise, un cendrier mais de la cendre autour, comme si c’était si difficile de viser en tapotant sur une clope, une musique qui sort d’on ne sait où et des bouteilles d’alcools éparpillées sur le sol. J’entends la sonnerie qui hurle et je fronce les sourcils. Putain, j’espère que c’est pas encore les voisins et leurs plaintes persistantes. J’avance lentement vers la porte, promenant avec moi mes odeurs de clopes et d’alcool, puis je l’ouvre et tombe sur un enchanteur. Ahah. Un bébé-enchanteur vraiment. C’est mon petit Merlin qui a de l’eau plein les yeux. Je devine qu’il va pas bien et je me pince les lèvres avant de le prendre doucement dans mes bras. Arg, ça me sert le cœur, j’ai pas l’habitude. Je le pousse vers le salon en soufflant très fort avant de fermer la porte. « Ça va aller t’inquiète Merlin » Je le laisse aller jusqu’à la terrasse car il connaît parfaitement l’endroit. Non, non. Je ne vais pas lui demander ce qui ne va pas, j’en ai déjà une petite idée et puis de toute façon il est venu jusqu’ici parce qu’il en a marre de se lamenter. On ne se lamente pas dans ma demeure. « Tu peux t’assoir sur un coussin, et puis sers-toi un verre. » Je lui souris en pinçant mes lèvres, ne sachant pas vraiment quoi faire. Les démonstrations d’amour et tout c’est pas trop mon fort. « Bon. j’ai aucune idée de ce qu’il y a dans ces verres haha. Mais bon. tiens, bois. » J’en prends un et je le lui tends. Il me fait confiance, il le prendra. De toute façon si moi je suis en vie, il y a aucun risque pour personne. Je sors des feuilles et de l’herbe de mon sac-à-dos et roule pour faire plaisir à mon enchanteur. J’espère qu’après l’effet de ma tige magique, il oubliera ses pleurs et sortira plutôt la baguette magique.

J’admire un peu la manière dont il arrive à me parler, mais je ne le regarde pas et garde mes yeux plongés dans mon verre. Ce genre de moments ne font définitivement pas partie de mes préférés, les images de la crise de ma petite sœur me reviennent peu à peu et me fendent le cœur. Elle avait eu beaucoup plus de mal à accepter le départ de maman et souffrait beaucoup de l’indifférence de papa. Je suis certain que si elle avait eu l’occasion de fuguer elle l’aurait fait, et elle m’aurait fait énormément de mal. « Écoute, tout ira bien. » Je lâche mon verre et reprends le joint que j’avais fini de rouler et posé là. « Personne ne te fait de mal au moins ? J’veux dire… Personne ne lève la main sur toi ? » Je sors mon briquet de ma poche avant d’allumer la petite tige et de tirer plusieurs taffes. « Si jamais tu n’arrives plus à supporter la tension tu peux venir ici. »

J’étais quelque peu sensible à ce que me disait Merlin. Beaucoup trop sensible et trop peu lucide. Je perdais la tête – chose qui pouvait être confirmée par la couleur de mes yeux – et mon cœur me faisait croire que j’avais en face de moi mon fils, que je devais en prendre soin. Une grande émotion parcouru donc mon être et traça un magnifique sourire affectueux sur mes lèvres avant de m'obliger à prendre Merlin dans mes bras alors qu’il finissait à peine sa phrase – que j’avais pas écoutée jusqu’à la fin. Je m’étais en fait arrêté lorsqu’il m’expliquait que c’était une longue histoire. A chaque fois que mon père commençait par « c’est une longue histoire » il ne disait vraiment rien de concret. « Moi mon mien de père il est pas là. » Je rigole un peu face à la confusion que pouvait provoquer ma phrase. « Non, non. Il est pas mort hein… Il est en voyage d’affaire. » Ok. J’étais pas lucide du tout, il me fallait trouver un miroir pour évaluer la rougeur de mes yeux, mais la salle de bain était beaucoup trop loin. « Du coup… » Du coup ? J'ai oublié ce que je voulais dire. He merde. Je réfléchis quelques secondes avant de me rattraper. « Tu peux venir ici quand tu veux. » Je tire encore une taffe malgré moi avant de lui tendre la moitié-tige. « Tiens. Fume à ton aise, tousse à ton aise, faut pas avoir honte de moi. Tu iras beaucoup mieux après ça tu verras. » Et je sais qu’il pourra pas refuser alors je lui propose déjà autre chose pour faire mieux passer le joint. « Tu veux que je ramène des boissons énergisantes ? Il y en a pleins dans le frigo. »

Je fis une moue étrange en écoutant la phrase de Merlin, je sais pas si c’est une grimace ou si c’est un visage triste, mais j’étais ému. Je me pinçais les lèvres et plissais les yeux. Quelle histoire triste ! Pauvre gamin ! « T’inquiète pas. T’es mon fils à moi maintenant, je laisserais jamais personne te faire du mal ! » Que je déclare alors, en bombant ma poitrine à la Superman. C’est sûrement pas approuvé par la loi mais les liens du cœur sont les plus importants que ceux sur du papier. A partir de maintenant l’enchanteur est mon fils et je suis son géniteur indirect. Ouais, indirect parce que j’étais pas présent à sa conception, mais le Seigneur a décidé de faire de moi son protecteur, son ange sur Terre et je ne perdrais pas cette mission, même s’il en va de ma vie ! « Ah ouais, ramène, j’ai besoin d’énergie là. » J’éclate de rire, un peu brusqué par sa remarque car j’étais loin de m’y attendre. Je ris tellement fort que j’ai du mal à me calmer alors je dois juste ressembler à un phoque qui a des problèmes oculaires en plus. J’arrive enfin à me stopper, malgré les battements de mon cœur qui dansent comme si je venais de courir un marathon. « Écoute, tu n’as pas à t’en vouloir. La vie est faite de haut et de bas, le plus important, c’est que tu saches qui tu es et que tu réussisses à te relever quand tu tombes ! Voilà.. Et… La cuisine est trop loin du coup je te conseillerais plutôt un verre de vodka-coca » Je détourne alors mon regard vers le plateau, espérant que mon petit speech lui ai donné suffisamment de motivation pour bouger ses fesses et prendre un verre. Se servir n’est pas réellement un problème sauf quand vous êtes paresseux comme moi.

Je me posais énormément de questions sur les problèmes de Merlin alors que mes yeux rougis se perdaient dans le vide. Qu’est-ce qu’il avait de si énorme à cacher ? J’estimais qu’il me connaissait assez pour savoir que je n’étais pas du genre à divulguer les secrets des autres, mais surtout qu’il me faisait suffisamment confiance pour me considérer comme un confident. Je me trompais peut-être. Dans un vertige terrible, j’hochais négativement la tête alors qu’il me proposait un verre de vodka-coca. Avec toutes les années de débauche que je tenais à mon actif, j’avais finis par connaître mes limites – mais surtout le désastre qui suivait à chaque fois que je décidais de les franchir. « Tu sais quoi Max ? Peut-être que je suis fais pour plaire aux hommes âgés… » Hein quoi ? « Je plaisais à mon père. » Mes sourcils se haussèrent avant de se croiser. Je tentais malgré moi d’effectuer le contact visuel entre mon ami et moi. Impossible. J’avais l’impression que mes yeux tombaient. « Argh… » Petit souffle qui s’échappait de ma gorge serrée alors que je cherchais un moyen de faire comprendre à Merlin à quel point je compatissais, car si je comprenais bien, sa situation était terrible.  « Si ça peut te réconforter, ma mère est décédée il y a 8 ans. » Rire nerveux. Non. Ce n’était pas drôle du tout, j’en étais conscient mais j’avais tellement de peine à me ressaisir que j’avais depuis longtemps abandonné la tâche. « Bref. C’est mieux qu’on parle d’autre chose… Alors… Euh… C’est quand la dernière fois que… T’es allé chez le coiffeur ? » Tentative désespérée de détendre l’atmosphère. Bravo Max.

Merlin était beaucoup trop adorable, il avait de quoi faire tomber des tonnes et des tonnes de filles, mais il préférait s’apitoyer sur son sort, faire des câlins et ne pas aller chez le coiffeur. Tant pis. C’était Merlin. Il était bien comme il était. J’étais loin d’avoir dans l’intention de le relooker : faute de temps mais surtout de motivation. Heureusement, il lui fallait juste un peu d’alcool et d’herbes pour le remettre sur le droit chemin. Je l’écoutais parler en souriant mais surtout en suppliant mon cerveau de refaire surface et en me battant avec mon subconscient qui me jouait des tours. « Ma mère à moi n’était pas vraiment du genre à se laisser intimider par une vieille. Elle lui aurait sûrement proposé une petite pause thé » Je rigole doucement. Ouais, je sais que c’est pas aussi courant d’apercevoir la reine d’Angleterre. Je sais aussi que c’est théoriquement impossible de lui proposer une tasse de thé, mais ma bouche n’était pas vraiment reliée à ma tête, le faussé entre mes pensées et mes paroles me semblait énorme. Pourtant c’était pas vraiment nouveau, j’avais l’habitude de sortir des conneries mais je me sentais un peu mal pour Merlin qui allait probablement finir par me prendre pour un drogué sans cervelle. « Max, merci pour ce moment, je me sens enfin vivant. » Je souriais gentiment mais mes globes oculaires se retrouvaient bien vite inondés. Ne pouffe pas de rire Max. Ne pouffe pas de rire Max. Eh merde. « Ahah, sérieusement ? » Souffle. « J’ai cru que tu t’ennuyais un peu, vu qu’on est tous seuls. C’est super. » Je décide finalement de me servir un verre pour faire passer toutes les émotions qui se bousculent de manière injustifiée dans mon petit corps. « Et je sais que je vais me répéter –enfin je crois… Mais, tu peux venir te sentir vivant avec moi quand tu veux. » Ouais, j’avais toujours une phrase louche à sortir….

Merlin semblait dans un état pire que le mien. Il passait de joyeux à triste en quelques secondes et à répétition. Il était tout mou et malgré qu’on soit tous les deux assis, j’étais prêt à le retenir s’il tombait. Bon. Peut-être pas. Peut-être bien qu’on allait chuter tous les deux, mais j’étais prêt à me sacrifier pour lui. Il avait quasiment les larmes aux yeux, mais il rigolait quand même avec moi. On était bel et bien perdus. « Tu sais Max… Moi j’aime pas les filles. » Ah moi non plus j’aime pas les filles. En même temps avec ma sœur, comment les aimer ? Les filles, c’est une version terrienne du diable, moi je dis. « Les filles c’est méchant. » Je hochais vivement la tête, totalement d’accord avec lui et surtout heureux que quelqu’un prenne enfin la défense du véritable sexe fort. « Je crois que je préfère les garçons mais j’ai jamais rien dit à personne. » Quoi ? Ma tête se bloqua d’un coup et je le regardais maintenant un peu étrangement, attendant la suite de son monologue qui tardait à venir. Il me disait à quel point il tenait à ce que son avis sur les filles reste secret et que ça serait le chao dans sa vie si jamais les garçons venaient à le savoir. A vrai dire, je ne comprenais plus. Je le regardais se lever et faire les cent pas sur ma terrasse. Il était plus que tendu alors que moi j’étais lent à la détente. « Pourquoi ? » Je le rattrapais dans son petit marathon de marche rapide avant d’attraper fermement sa main, comme s’il se noyait et que je lui sauvais la vie. « Mais qu’est-ce que tu racontes Merlin ? » Je desserrais légèrement la pression avant de croiser son regard et – enfin – finir par comprendre. « Mais… Mais tout le monde s’en fout si tu préfères les filles ou les garçons. Moi j’en ai rien à foutre. » Peut-être pas tout le monde… Il avait raison, mieux valait pour lui que personne ne soit au courant.  Je lâchais finalement ses doigts, cherchant quoi lui dire pour lui redonner le sourire. « T’inquiète pas. C’est pas comme si c’était une maladie. Je le dirais à personne, mais ça sert à rien à que tu te ronges la vie comme ça. » Ok. Je n’allais peut-être pas parvenir à lui rendre le sourire. « C’est pas important Merlin »

Merlin me rendait plus gentil que je ne l’étais, j’ignorais si c’était sa compagnie ou mon état piteux qui me faisait passer pour un si bon type. C’est vrai. Je me souciais de lui. Beaucoup trop. Est-ce qu’il s’ennuie ? Est-ce qu’il est content ? Est-ce qu’il sourit ? Pourquoi il est triste ? C’était pas habituel. J’étais uniquement comme ça avec ma sœur et même elle ne le savait pas. Pourtant, Merlin n’avait aucun doute de mon attention pour lui. A quel moment il avait eu le temps de construire un tel amour fraternel ? Aucune idée. J’étais déjà désolé pour lui, car plus il me donnait de place dans sa vie, plus j’avais l’occasion de le décevoir. Et croyez-moi, je déçois souvent ceux qui m’apprécient. Tendu. J’étais tendu. J’avais réussi à me mettre la pression sans raison apparente. Il sursauta légèrement puis me regarda dans les yeux quelques secondes. Il ne m’avait probablement pas écouté. « Je peux rester ce soir ? Je te promets que je ne ferais pas de bruit… » Je me raclais la gorge nerveusement avant de détourner le regard. Mon père venait tout juste de voyager vers Magadascar, il n’était pas prêt de revenir de si tôt. « Oui bien sûr, tu peux rester. » Je détournais alors mon regard en faveur du ciel. La nuit tombait déjà tout comme mon taux d’alcoolémie. Je me sentais mal, trop lucide pour sourire ou rigoler. « Il y a une chambre pour les invités mais on peut mettre un matelas dans la mienne, si tu veux. »  Il n’avait pas décidé de rester pour le fun ni parce qu’il voulait s’amuser, j’avais l’impression qu’il fuyait une réalité et que je ne pouvais pas savoir laquelle. C’est pas important Merlin. C’est pas important, c’est pas important. Peut-être que si ? Je m’éclairci bruyamment la voix. « On devrait aller à l’intérieur… T’as pas faim ? »

Alors qu'il acceptait que je reste, j'étais déjà reparti dans mes pensées loin, comme si j'avais l'impression que mon cerveau voulait me faire partir loin de la réalité. Alors que je devais vraiment être de retour dans le présent, je regardais Max, avant d'hocher la tête et de répondre : "oui j'ai faim mais ça va... ce n'est pas la mort..." Ce mot me fit tréssaillir et je regardais Max, d'un air anxieux. Non je ne pensais pas à ça. Mais je crois que les mélanges me rendaient un peu bizarre. Je me rapprochais de Max et je répondis:

"Tu sais quoi? Je ne pensais pas à ça ...Je te jure.. Tout va bien... Enfin je me sens un peu bizarre mais c'est cool car je suis libre....Tu m'aides à me sentir libre alors merci... maintenant je vais pouvoir faire tout ce que je veux... "

Et je me mis à rire comme un imbécile. Non pas que je trouvais ça drôle, c'était juste que le temps d'un instant, je trouvais la vie beaucoup plus légère. Je regardais alors max une nouvelle fois avant d'ajouter:

"Et maintenant, pour être encore libre, je devrais faire comme les oiseaux et m'envoler loin de tous ces problèmes..."

Parfois, je venais à être un peu poétique même si je pensais que je délirais complètement. Voler comme les oiseaux, et puis quoi encore?